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[ 936 ] Bénéficiaires effectifs - Questions en suspens et difficultés d`application

L’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 a transposé en droit français la directive 2015/849 du 20 mai 2015 en instaurant l’obligation pour toutes les personnes morales immatriculées au registre du commerce d`obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs et de déposer un document relatif à ces informations au greffe du tribunal (article L561-46 du code monétaire et financier).

Les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé sont toutefois dispensées de cette obligation en raison des obligations de transparence à la charge de leurs actionnaires significatifs (déclarations de franchissement de seuil).

Le décret n°2017-1094 du 12 juin 2017 a précisé le contenu du document relatif au bénéficiaire effectif et les modalités de dépôt au greffe et de communication de ce document.

Alors que le dispositif est entré en vigueur le 1er août 2017, les textes suscitent des interrogations et des difficultés d’application.

1. Quelle est la définition du bénéficiaire effectif ?

Le décret prévu par l’ordonnance du 1er décembre 2016 pour préciser la définition et les modalités de détermination du bénéficiaire effectif n’est pas encore paru.

En attendant la publication du décret, les textes renvoient à la définition du bénéficiaire effectif qui concerne le dispositif d’identification du bénéficiaire effectif par les établissements de crédit et autres entités soumises à une obligation de vigilance à l’égard de leurs clients (article L561-2-2 et article R561-1 du code monétaire et financier) : 

Le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques :

1° Soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ;

2° Soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée.

Lorsque le client est une société,on entend par bénéficiaire effectif de l`opération la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d`administration ou de direction de la société ou sur l`assemblée générale de ses associés.

Cette définition n’est pas adaptée au nouveau dispositif de déclaration des bénéficiaires effectifs (par exemple, la référence au client est inappropriée).

De plus, elle ne prévoit pas la déclaration par défaut du ou des dirigeants principaux comme bénéficiaire effectif, contenue dans la directive 2015/849 du 20 mai 2015.

Enfin, plusieurs questions ne sont pas abordées par les textes.

2. Démembrement de propriété : l’usufruitier est-il concerné par les dispositions sur le bénéficiaire effectif ?

Le nu-propriétaire est concerné par le dispositif. Concernant l’usufruitier, deux interprétations s’opposent :

1) l’usufruitier est concerné par le dispositif du bénéficiaire effectif.

En cas de démembrement de la propriété, l’usufruitier dispose généralement de l’usage du droit de vote attaché aux titres.

L’article L561-2-2 du code monétaire et financier vise le « contrôle » et l’exercice du droit de vote est un moyen de contrôle. L’usufruitier doit donc être déclaré comme bénéficiaire effectif s’il représente plus de 25% des droits de vote ou si, sans atteindre les 25%, il exerce un pouvoir de contrôle par tout autre moyen sur les organes dirigeants et l’assemblée de la société.

Ainsi, en cas de démembrement de propriété d’actions entre un nu-propriétaire et un usufruitier, est bénéficiaire effectif :

- la personne physique ayant la qualité de nu-propriétaire qui détient, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote,

- la personne physique ayant la qualité d’usufruitier qui jouit de l’usage, directement ou indirectement, de 25 % des droits de vote,

- la personne physique ayant la qualité de nu-propriétaire qui, sans détenir plus de 25% du capital ou des droits de vote, détient une part significative de ce capital ou de ces droits de vote qui lui permet d’exercer un contrôle de fait sur les organes de gestion, d’administration ou de direction ou sur l’assemblée générale de la société,

- la personne physique ayant la qualité d’usufruitier qui, sans jouir de l’usage de plus de 25% des droits de vote, jouit de l’usage d’une part significative de ces droits de vote qui lui permet d’exercer un contrôle de fait sur les organes de gestion.

 2)  Pour d’autres, la directive 2015/849 vise la « possession » et l’article R561-1 du code monétaire et financier la « détention ».

L’usufruitier ne serait donc pas concerné par la définition du bénéficiaire effectif puisque la « possession » - ou la « détention » - appartient au nu-propriétaire.

3. En cas de titres détenus en indivision, faut-il prendre en compte la part du capital détenue par l’indivision ou celle détenue à titre individuel par chaque membre de l’indivision pour identifier les bénéficiaires effectifs ?

Si une indivision représente plus de 25 % du capital ou des droits de vote, se pose la question de savoir si chacun des indivisaires doit-être déclaré comme bénéficiaire effectif.

Individuellement, la personne qui n’atteint pas 25 % du capital ou 25% des droits de vote ne remplit pas les conditions pour être considéré comme bénéficiaire effectif.

Néanmoins,on peut considérer que les indivisaires détiennent le capital par le biais de l’indivision.

Chacun d’entre eux devrait donc être déclaré bénéficiaire effectif, avec l’indication de sa qualité de membre de l’indivision.

4.Sociétés dont les titres sont détenus par des personnes morales : quelle est la méthode pour identifier les bénéficiaires effectifs de la société et calculer la participation indirecte d’une personne physique dans le capital ?

Pour les parts ou les actions de la société détenues par des personnes morales, il convient de remonter la chaîne des associés ou actionnaires personnes morales jusqu’aux personnes physiques et calculer la participation indirecte de ces personnes physiques dans le capital de la société déclarante.

Dans le cas d’une chaîne d’actionnaires de plusieurs niveaux, il convient d’identifier la personne physique qui détient plus de 25% du capital à chaque niveau de participation.

Annexe 1

Il convient de cumuler les participations directes et indirectes d’une personne physique pour le calcul de sa détention dans le capital de la société.

Annexe 2

Concernant la méthode de calcul de la participation indirecte dans le capital, deux méthodes sont envisageables :

1) La méthode du produit des participations consiste à multiplier les différents produits de participation pour obtenir le niveau de participation indirecte dans la société.

2) L’autre méthode envisageable est celle du contrôle (article L233-4 du code de commerce) : l’actionnaire qui contrôle la personne morale détient indirectement le niveau de participation de cette dernière dans la société dont elle est actionnaire.

Exemple :

La société A est détenue à 25% par une société B, elle-même détenue à 50% par un actionnaire personne physique C.

Selon la méthode des participations, l’actionnaire C détient indirectement 12.5 % de la société A (50%x25%).

Selon la méthode du contrôle, l’actionnaire C détient 25 % du capital de la société A et est à ce titre bénéficiaire effectif (il contrôle la société B et détient le même niveau de participation que celle-ci dans le capital de la société A).

Dans le silence des textes sur la méthode applicable, certains préconisent de déclarer les bénéficiaires effectifs identifiés avec chacune des deux méthodes.

5. Filiales de société cotée : quelle est la conséquence sur l’identification de leurs bénéficiaires effectifs de la dispense de la société cotée à cette obligation ? la société cotée fait-elle écran ?

Les sociétés cotées sont dispensées de l’obligation de déclarer les bénéficiaires effectifs. En revanche, les filiales de sociétés cotées doivent déclarer leurs bénéficiaires effectifs.

Deux interprétations s’opposent sur l’incidence de la présence d’une société cotée dans la chaîne de détention du capital :

1) Selon une interprétation, la société cotée fait écran à la recherche des bénéficiaires effectifs. En effet, il serait incohérent d’imposer à des filiales de rechercher les bénéficiaires effectifs de leur société mère,société cotée, alors que celle-ci en est dispensée.

Les filiales de sociétés cotées étant toutefois obligées d’établir et de déposer au greffe le document sur les bénéficiaires effectifs, elles devraient, selon cette interprétation, déposer le document au greffe en indiquant qu’elles sont contrôlées par une société cotée.

2) Selon une autre interprétation, la société cotée ne fait pas écran et la filiale doit rechercher quels sont ses bénéficiaires effectifs.

En effet, les textes ne prévoient pas de dispense ou de dispositions particulières pour les filiales de sociétés cotées.

Ils n’autorisent pas, par exemple, la déclaration de la société cotée comme bénéficiaire effectif.  

Annexe 3

6. A quelles conditions une personne physique qui ne détient pas de 25 % du capital ou 25% des droits de vote de la société, directement ou indirectement,peut-elle être considérée bénéficiaire effectif ?

Que signifie la notion de « pouvoir de contrôle par tout autre moyen » ?

Est bénéficiaire effectif de la société la personne qui, sans détenir plus de 25% du capital ou des droits de vote, exerce, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d`administration ou de direction de la société ou sur l`assemblée générale de ses associés.

Il reste à préciser les termes « par tout autre moyen » et« pouvoir de contrôle ».

Selon une interprétation, est bénéficiaire effectif la personne qui, sans détenir plus de 25% du capital ou des droits de vote, détient une part significative du capital au regard des parts détenues par les autres actionnaires qui lui permet d’exercer un contrôle de fait sur les organes de gestion,d’administration ou de direction ou sur l’assemblée générale de la société.

Dans une société dont l’actionnariat est dispersé, la détention d’une faible partie du capital ou des droits de vote est suffisante pour exercer un pouvoir de contrôle et être considéré comme bénéficiaire effectif.

Annexe 4

 7. S’il n’existe pas de bénéficiaire effectif selon les critères prévus par les textes, faut-il désigner par défaut le représentant légal comme bénéficiaire effectif ?

Si aucune personne ne détient, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote, et si aucune personne n’exerce par un autre moyen un pouvoir de contrôle sur les dirigeants de la société ou sur les associés, la directive UE 2015/849 prévoit de déclarer par défaut comme bénéficiaire effectif « le ou les dirigeants principaux ». La directive précise toutefois qu’il s’agit de cas exceptionnels.

Il existe toutefois des avis sur la faculté de déclarer un représentant légal au titre du bénéficiaire effectif ainsi que sur les modalités d’application de cette règle :

1) Pour certains, cette disposition n’est pas applicable car elle n’a pas été transposée en droit français.

2) Pour d’autres, la directive européenne est applicable bien qu’elle n’ait pas été transposée.

C’est la position des greffes qui ont ajouté sur le modèle de bénéficiaire effectif a possibilité de déclarer le représentant légal comme bénéficiaire effectif,en l’absence de personne remplissant les critères de bénéficiaire effectif.

Par ailleurs, il existe un doute sur le représentant légal à déclarer, soit celui de la société déclarante, soit celui de la dernière société de la chaîne de contrôle.

Si le représentant légal est une personne morale (une société Président de SAS),la question se pose aussi de savoir s’il faut déclarer la personne morale dirigeante ou s’il faut remonter la chaîne jusqu’à une personne physique.


Pour consulter les annexes, cliquez sur le lien :

Annexes - cas pratiques



Sources : Document "lignes directrices sur les bénéficiaires effectifs" - ACP Septembre 2011 -

Recommandation AMF - lignes directrices relatives à la notion de bénéficiaire effectif en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (DOC2013-05) 12/02/2013 modifié le 06/11/2014